par Jacques Miège

Au moment d’évoquer des souvenirs du passé du quartier de Valavran, il faut préciser que c’est là une appellation restrictive d’un ensemble, alors plus vaste, encore nommé “Les Marais” au plan cadastral de Ferney-Voltaire. Le nom usité aujourd’hui de “Quartier de Valavran” vient du nom de celui d’un quartier suisse voisin, de la commune de Bellevue, attribué dans une période récente au principal chemin du quartier, qui, autrefois, conduisait dans cette direction, à travers champs.

La plus grande partie de ce quartier était constituée de jardins potagers, bandes de terrain étroites, généralement de 9 mètres par 60 environ. Par l’effet des successions, partages ou reventes la contenance des parcelles a varié au cours du temps. L’origine en était l’asséchement des marais à l’époque de Voltaire. On trouve encore lors de travaux de labours profonds ou de terrassements pour les constructions de maisons, des drains et des aqueducs constitués de tranchées remplies de pierre des champs, qui conduisaient, et parfois conduisent encore, les eaux drainées parfois d’assez loin en direction des fontaines de Ferney ou des ruisseaux.

En effet auparavant était connu comme quartier des Marais tout l’espace compris depuis l’extrémité nord du chemin du Levant, jusqu’à l’emplacement de l’actuel quartier des Tattes au sud, au lieu-dit “La Brunette”, et depuis l’actuel avenue des Alpes à l’ouest, et à la frontière suisse à l’est, alors en bordure de l’actuel chemin du Gué. A l’angle nord, l’Avenue des Sports était alors un passage oublié, à peine praticable, même à pied.

Ces marais asséchés, propriété communale, furent partagés entre les habitants de Ferney au moment de la révolution – il est curieux de noter que cette révolution a en fait privatisé des biens communaux, ce qui pourrait bien être un trait d’indépendance des Ferneysiens d’alors, peut-être encore actuel aujourd’hui!

Il y a moins de 50 ans l’espace occupé par les tours des Tattes était encore marécageux, il y poussait une végétation spécifique à ces zones et surtout une herbe rigide, à fortes feuilles, tranchantes lorsqu’elles étaient séchées, appelée bâche et utilisée l’hiver comme litière pour les animaux domestiques. Ce nom de “tattes” désignait des lieux ou la culture était impossible, mais comportait un aspect péjoratif lorsqu’il s’appliquait à un terrain mal entretenu par son propriétaire ou était utilisé par quelqu’un qui ne cultivait son jardin que contraint et forcé par les circonstances, ou par son épouse, et qui ne s’acquittait de ce soin qu’à contrecœur, dans son vocabulaire le jardin était alors appelé “tatte”, ou parfois “taripelle”, qui avait le même sens.

Jusqu’à la période d’après-guerre, vers la fin des années 50, les jardins, très nombreux, étaient fréquentés en famille par leurs propriétaires ou leurs locataires, habitants de Ferney, particulièrement du centre et des Brotteaux, qui venaient très nombreux cultiver leurs légumes et produire la provision de pommes de terre et autres légumes à hiverner, très variés et traditionnels. C’était un vrai spectacle, surtout les samedis et jours fériés de voir souvent trois générations, chacun selon ses compétences, vraies ou supposées, s‘appliquer à l’entretien de leur petit royaume, dans une ambiance pleine d’enthousiasme et d’entraide, prêt des outils, échange de plantons, coups de main pour les travaux difficiles ou nécessitant un concours de bras, partage de conseils et d’expérience, parfois cachotterie de petits secrets ou de tours de main.

Certains, qui avaient appris la greffe des arbres ou de la vigne, enseignée autrefois à l’école primaire pour donner un atout au moment de commencer à travailler, étaient particulièrement appréciés pour leur aide. Lorsque survenait une averse ou un orage, ou par la forte chaleur, la remise ou l’avant-toit d’une des rares maisons du quartier offrait un abri bienvenu. Certains possédaient une petite cabane pour ranger les outils, ici ou là une cabane un peu plus grande accueillait tel ou tel groupe selon les affinités, c’était un privilège que d’être admis dans la cabane de celui qui possédait une fontaine d’eau de source bien fraîche, ou quelques bouteilles attendaient l’heure de l’apéritif, ou de celui qui était particulièrement apprécié pour la qualité de sa compagnie. Certains étaient de véritables conteurs, qui relataient les nouvelles du moment ou les histoires du passé, bien souvent savoureuses et pleines d’esprit.

Malgré les difficultés du temps, personne ne se plaignait, il n’y avait pas d’envieux, les gens de ce temps là semblaient bien supporter leur sort et en être heureux…

Aujourd’hui les maisons ont remplacé les cabanes d’autrefois, les grands immeubles se sont rapprochés tout autour du dernier carré, les habitants de Ferney, nombreux et mieux lotis qu’autrefois, ne semblent pas plus heureux malgré les biens acquis et le confort assuré, peu nombreux sont ceux qui se connaissent, encore moins ceux qui prennent le temps de rencontrer leurs voisins et de bavarder entre eux, pourtant si vous venez vous promener à pied dans ce quartier vous pourrez parfois y surprendre les derniers indigènes venus, même des Tattes ou des Brotteaux, maintenir avec vaillance et bonne humeur quelques traditions du passé.

 

 

Texte paru en avril 2000 dans le Ferney Nouveau et, partiellement, en 2009 dans  Ferney-Voltaire/ Mémoire de quartiers, de Béatrice Obergfell (Editions Cabédita).